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LE VALIDISME 


Une hiérarchie implicite des corps et des esprits ​


Temps de lecture estimé : 7 minutes  

Définition et origines


Le validisme, ou ableism en anglais, désigne une forme de discrimination qui établit la personne dite « valide » comme norme de référence et relègue les personnes en situation de handicap dans une position inférieure. Fiona Kumari Campbell le définit comme « un réseau de croyances, de processus et de pratiques qui produit un type particulier de soi et de corps (la norme valide), projeté comme parfait et complètement humain, reléguant le handicap à un état inférieur de l’être » (Campbell, 2009).  

Ce concept a émergé dans les années 1960-1970 dans le monde anglophone, en lien avec les mouvements pour les droits civiques et la naissance des disability studies. Ces derniers ont contesté la vision strictement médicale du handicap pour lui opposer une approche sociale : ce n’est pas tant la déficience individuelle qui handicape, que la société qui construit des obstacles (Shakespeare, 2013).

En France, le terme « validisme » s’est diffusé plus récemment, porté par les collectifs militants puis par les sciences sociales. Le CLHEE (Collectif Luttes et Handicaps pour l’Égalité et l’Émancipation) décrit ainsi le validisme comme une idéologie qui « nie aux personnes handicapées la possibilité d’être satisfaites de leur existence et leur refuse le droit de prendre en main leur propre vie ».


Un caillou dans l'engrenage ? Un petit "couac" isolé ?

​Aujourd’hui, le validisme concerne directement une partie massive de la population. L’Organisation mondiale de la santé estime qu’1,3 milliard de personnes dans le monde, soit 16 % de la population, vivent avec un handicap. En France Métropolitaine, la DREES (2024) indique que 14,5 millions de personnes de 15 ans ou plus déclarent au moins une limitation fonctionnelle sévère. 

Manifestations dans la société



Dans le langage et les attitudes

​Le validisme se glisse dans les mots du quotidien. Insultes, blagues, et phrases assassines traduisent une hiérarchie implicite des corps. Les personnes handicapées sont souvent infantilisées ou perçues comme des 
« fardeaux ». Comme l’écrit l’activiste Rosemarie Garland-Thomson, « le handicap n’est pas une propriété de certains corps, mais une construction culturelle de la différence corporelle » (Garland-Thomson, 1997).  



Dans l’environnement et l’accessibilité

​Nos villes, nos transports, nos bâtiments et nos outils numériques sont majoritairement pensés par et pour les valides. En France, la Fédération des aveugles rappelait en 2023 que seulement 3 % des sites publics respectaient les normes d’accessibilité numérique. La loi ELAN de 2018, qui a réduit à 20 % la proportion de logements neufs accessibles, a été dénoncée par de nombreuses associations comme un recul majeur. En 2023, le Conseil de l’Europe a même constaté une violation des droits des personnes handicapées par la France, faute d’accessibilité et de soutien à la vie autonome.


Dans les institutions et politiques publiques

Malgré le slogan de « l’école inclusive », la réalité reste contrastée. Fin 2022, près de 174 000 enfants étaient encore scolarisés en établissements spécialisés plutôt qu’en milieu ordinaire, et plus de 320 000 adultes vivaient en institutions médico-sociales. Ces chiffres révèlent une ségrégation persistante. Le Défenseur des droits souligne d’ailleurs que le handicap est, année après année, le premier motif de discrimination signalé en France. ​ 


Dans les médias et représentations culturelles

​Le validisme imprègne aussi nos récits. Les personnes handicapées sont invisibles ou représentées sous deux prismes stéréotypés : soit objets de pitié (« pauvres malheureux »), soit héros inspirants (« courageux malgré tout »). Les collectifs militants parlent à ce propos d’inspiration porn. Les médias donnent encore trop rarement la parole aux personnes concernées elles-mêmes, préférant interroger leurs proches ou des professionnels. 


Conséquences concrètes

 


Education

L’accès à l’éducation est l’un des terrains où le validisme est le plus visible. 

Les manques d’accompagnement et d’accessibilité entraînent un taux de décrochage élevé. En France, seuls 59 000 étudiants handicapés étaient inscrits dans l’enseignement supérieur en 2022, un chiffre bien inférieur à la proportion de personnes concernées dans la société.


Emploi

Sur le marché du travail, le validisme se traduit par un chômage deux fois plus élevé : 12 % des personnes handicapées étaient au chômage en 2022, contre 7,2 % de l’ensemble de la population. Derrière ces chiffres, il y a des préjugés tenaces : employeurs craignant des « contraintes », postes non aménagés, carrières bloquées.


Santé

L’OMS rappelle que les personnes en situation de handicap ont plus de risques de mauvaise santé, non pas à cause de leur condition en elle-même, mais à cause des barrières sociales et systémiques.
En France, 54 % des personnes handicapées de 16 à 64 ans estiment leur état de santé mauvais ou très mauvais, contre seulement 7 % dans l’ensemble de la population. 


Sécurité

Le validisme ne s’arrête pas aux portes de l’école ou du travail : il impacte la vie sociale, affective et intime. Les personnes handicapées subissent davantage de solitude et d’isolement. Elles sont aussi plus exposées aux violences : en France, 7,3 % des personnes handicapées déclarent avoir subi des violences physiques ou sexuelles sur deux ans, contre 5,1 % pour les autres. 

Pourquoi cette oppression reste invisible  



Si le validisme est si peu nommé, c’est parce qu’il est profondément normalisé. Pendant longtemps, le handicap a été cantonné à la charité ou à la médecine. La société l’a pensé comme « malheur individuel » plutôt que comme oppression collective. La culture dominante valorise la performance, l’autonomie et la jeunesse, reléguant les corps différents au rang d’anomalies. Comme le note l’écrivaine et philosophe Elizabeth Barnes, « le problème n’est pas le handicap, mais la manière dont la société le valorise négativement » (Barnes, 2016).

À cela s’ajoute une logique économique : dans une société productiviste, celui qui ne peut travailler « comme les autres » est jugé moins rentable. Le validisme se nourrit de cette hiérarchie de la valeur humaine fondée sur la productivité.

Pistes pour déconstruire le validisme



  • Nommer et visibiliser. Les collectifs comme le CLHEE ou Les Dévalideuses insistent : il faut rendre le mot « validisme » courant, dans les médias, à l’école, dans les institutions.
  • Éduquer et former. Lutter contre les stéréotypes dès l’enfance, former enseignants, médecins, recruteurs aux biais validistes.
  • Rendre accessibles les environnements. Appliquer sans délai les obligations d’accessibilité des lieux publics, transports, outils numériques.
  • Renforcer les droits et l’autonomie. L’ONU, à travers la Convention relative aux droits des personnes handicapées, insiste sur le droit à une vie autonome et à l’inclusion dans la communauté.
  • Donner la parole aux personnes concernées. Le slogan « Rien sur nous sans nous » reste une boussole. Les décisions doivent être co-construites avec celles et ceux qui vivent le handicap.
  • Changer les représentations. Multiplier les figures de personnes handicapées dans la culture et les médias, au-delà des clichés de héros ou de victimes.
  • Tisser des alliances. Penser l’antivalidisme dans une approche intersectionnelle, aux côtés des autres luttes.

Bibliographie


Ouvrages et articles académiques

Rapports, normes et organisations internationales

Données et indicateurs – France

  • DREES (2024). Le handicap en chiffres – édition 2024 (14,5 M de personnes de 15+ déclarant des limitations sévères en 2022). DREES+1Handicap.gouv.fr
  • Défenseur des droits (2023/2025). Rapport annuel : le handicap, 1er motif de discrimination (≈ 21 % des saisines). Défenseur des Droits+1vie-publique.fr

Textes juridiques et décisions

  • Conseil de l’Europe – Comité européen des droits sociaux (2023). Décision constatant des violations par la France (accessibilité, aides, participation à la vie de la communauté). PortalCNCDH
  • Loi ELAN (2018) et décret (2019) – Accessibilité des logements neufs : quota de 20 % accessibles, 80 % « évolutifs ». Légifrance+1Cerema

Analyses médias et état des lieux

  • Le Monde (2024). « Les discriminations liées au handicap, en chiffres » (emploi, accessibilité, plaintes). Le Monde.fr
  • Le Monde (2024). « L’inclusion progresse peu » (rappels critiques ONU/Conseil de l’Europe, scolarisation, emploi). Le Monde.fr
  • CLHEE (Collectif Luttes et Handicaps pour l’Égalité et l’Émancipation) – « Le validisme, un impensé médiatique ». MediapartCLHEE
  • Média Animation (Belgique) (2024). « Validisme, médias et société » (taux de visibilité très faible). Média Animation asbl

Ressources militantes francophones (concepts, témoignages, plaidoyers)

Fondements historiques du « modèle social » du handicap