Se rendre au contenu

CAA : construire notre culture professionnelle, en français

Ou pourquoi il devient urgent d’arrêter de répéter ce dont on n’est pas sûrs.

 [TEMPS DE LECTURE : 7 minutes]

Dans cet article, nous aborderons un sujet à la fois discret et important : le lien entre la diffusion de la CAA et l’accessibilité réelle aux savoirs qui la fondent.

Car derrière les outils, les pictogrammes, les applications ou les grilles d’observation, il y a le plus souvent une pensée, issue de travaux scientifiques souvent pointus… et bien souvent rédigés en anglais.

Or, quand ces sources ne sont pas accessibles, que se passe-t-il ? On simplifie. On traduit à moitié. On répète ce qu’on a entendu. Et parfois, sans le vouloir, on dénature ce qu’on croit transmettre.

Cet article est une invitation à reprendre la main :

  • sur ce que l’on relaie,
  • sur la manière dont on lit,
  • et surtout, sur la façon dont on construit une culture partagée de la CAA, lucide, collaborative et rigoureuse, même sans être expert, même sans parler anglais.


Une CAA qui parle… surtout anglais

Pour l'heure, la majorité des études fondatrices autour de la Communication Alternative et Améliorée (CAA), des guides de bonnes pratiques et des modèles conceptuels provient de pays anglophones : Canada, États-Unis, Australie, Royaume-Uni.

Et le résultat est sans appel : en France, les professionnels de terrain ont peu accès à ces travaux. Non pas par manque d’intérêt, mais par manque de ressources en français, de temps, de repères méthodologiques… et souvent, de conditions de travail propices à la veille scientifique.


Concrètement, qu'est ce que cela implique ?

Quand on ne peut pas lire, ou comprendre par soi-même : on répète


On s’appuie sur ce qui circule

Extraits de formations, citations reprises entre collègues, slides de PowerPoint qui se transmettent d’un formateur à l’autre.


On s'approprie des affirmations sans contextualisation

"Le PODD est utilisé partout dans les pays anglo-saxons."

"Les outils numériques augmentent l’autonomie, c’est prouvé."

… Mais rarement de source, ni de contexte, ni de discussion sur les limites.


Et on applique sans recul

Sans accès à la publication d’origine, impossible de vérifier. Et sans vérification, on ne fait que répéter, pas penser. Jusqu'à parfois véhiculer nous même cette information erronée ou incomplète.

Des conséquences concrètes sur le terrain

Cette reprise non critique de ce que l'on voit passer par-ci, par-là, présente des risques réels lorsque une personne se lance dans un projet de CAA : 

Des outils mal choisis, parce qu’on suit une "tendance" plus qu’une analyse de besoin. Et donc une rupture entre professionnels, aidants et utilisateurs...

Des accompagnements inadaptés, parce qu’on applique une méthode "validée ailleurs" sans se demander si elle a un sens ici.

Et derrière ces erreurs, il y a des personnes vulnérabilisées : privées d’un accompagnement sur-mesure, éloignées de leurs droits, freinées dans leur accès à la communication, à l’autonomie… et à une place pleine et entière dans la société.

Des formations qui relaient des affirmations dogmatiques sans jamais citer une publication.

Penser par soi-même, même sans tout comprendre

On ne demande pas à chaque professionnel d’être bilingue, ni de lire 40 pages d’anglais scientifique après une journée de terrain. 

Mais il y a des réflexes simples, accessibles à tous, qui permettent déjà de faire mieux :

Individuellement : quelques gestes utiles

  • Dire “je ne sais pas”, plutôt que répéter une jolie phrase entendue quelque part.
  • Demander la source quand on vous affirme "c’est prouvé" afin de s'éloigner du "ça se fait ailleurs".
  • Vérifier ce qu’on transmet dans un outil ou un document : est-ce que c’est encore d’actualité ? est-ce adapté au public concerné ?
  • Comparer deux ou trois documents, même rapidement, pour voir s’ils se recoupent ou se contredisent.

Collectivement :  faire de la place au doute dans l’équipe

  • Lire ensemble un extrait d’article, avec un traducteur automatique : on n’a pas besoin de tout comprendre, mais on peut déjà saisir les grandes lignes.
  • Créer une fiche collective à partir d’une lecture : ce que dit la recherche, ce que ça change pour nous, ce qu’on garde, ce qu’on questionne.
  • Mettre à plat un outil de formation qu’on utilise souvent : d’où vient-il ? sur quoi repose-t-il ? est-ce qu’il a du sens ici, pour cette personne, dans cette structure ?

En s'aidant d'outils actuels pour chercher ou traduire : 

  • Perplexity.ai : pour interroger une étude ou un concept et accéder à ses sources.
  • DeepL (bien plus précis que Google Traduction) : pour traduire un article en anglais en gardant les nuances.
  • Zotero : pour archiver, annoter et classer ses lectures au fil de l’eau (utile en équipe ou seul·e).
  • PubMed :​ pour trouver des articles fiables sur la CAA, en accès libre ou avec résumé.

Ce n’est pas parfait et ça demandera toujours du temps. Mais c’est faisable. Et surtout, c’est utile.

Si chacun, à son niveau, prend un peu de temps pour vérifier ce qu’il relaie, pour poser une question de plus, pour chercher une source avant de transmettre, alors on commence déjà à faire bouger les lignes.

On construit des pratiques plus solides, plus partagées, plus respectueuses aussi des personnes qu’on accompagne.


Pour aller plus loin : ressources fiables, en français et en anglais

Ouvrages et articles francophones

  • Cataix, É. (2017). Communiquer autrement. 

Un des rares ouvrages francophones à croiser clinique et outils concrets. 

  • Plaidoyer GNCHR (2023).

Pour une CAA pensée comme levier d’accessibilité. Contient des repères institutionnels et pratiques.

  • Fondation Houtman / UC Louvain (2017). Questions-clés, points d'attention et repères pour faciliter les choix et l'utilisation de la CAA

Un ouvrage rigoureux, collaboratif, très documenté.  

  • Livre blanc de la CAA – Hop’Toys (2021).

Une bonne porte d’entrée, accessible à tous, avec témoignages et repères pratiques.

Documents institutionnels (France)

  • Instruction DGCS/SD3B/2025/86 – Missions CAA départementales
  • Dossier de presse CIH – avril 2023
  • Stratégie TND 2023–2027 – Mesures CAA

Références internationales incontournables

Beukelman, D.R. & Mirenda, P. (2020). Augmentative and Alternative Communication – Supporting Children and Adults with Complex Communication Needs

L’ouvrage de référence mondial sur la CAA. Approche rigoureuse, complète, actualisée. Disponible à l’achat (Brookes Publishing, Amazon, etc.).

Mirenda, P. (2014). AAC and Individuals with Autism Spectrum Disorder: Current Perspectives, dans AAC Journal (vol. 30, n°3).

Article clé sur les usages de la CAA avec les personnes autistes. Accès via Taylor & Francis, résumé en ligne.

Faire groupe pour penser la CAA autrement

Penser par soi-même, c’est important. Mais penser ensemble est une nécessité.

Le manque de ressources francophones ne peut pas être compensé par des lectures individuelles isolées. En revanche, il peut devenir un moteur de coopération.

  • Créer une équipe de veille CAA dans un établissement ou un réseau, c’est :
    • choisir ensemble des articles à traduire et à discuter,
    • mutualiser des grilles d’analyse simples,
    • croiser les regards entre professionnels du soin, de l’accompagnement, de l’éducation,
    • produire des supports partagés, contextualisés, adaptés.

C’est aussi :

    • s’appuyer sur des groupes déjà engagés dans la CAA,
    • échanger sur ce qui est testé sur le terrain,
    • documenter ce qui marche, ce qui coince, ce qu’on ajuste.

Et surtout : sortir de l’isolement de l'aidant professionnel ou familial, celui-là même qui fait qu’on applique parfois des outils sans y croire vraiment faute d’avoir pu y réfléchir à plusieurs.

Mutualiser, c’est se renforcer.

Traduire, c’est déjà transmettre.

Et faire groupe, c’est poser ensemble les bases d’une culture de la CAA solide et durable.

En résumé

La CAA est un champ scientifique.

Cela signifie qu’elle ne s’improvise pas, ne se résume pas à des citations percutantes, ni à des outils “à la mode”.

Accéder aux sources, même partiellement, c’est :

  • Reprendre la main sur ce qu’on transmet
  • Choisir avec plus de justesse
  • Respecter les personnes accompagnées
  • Et cesser de faire de la CAA une "recette miracle", au lieu d’un processus complexe et humain

Contactons-nous

Ce sujet vous parle ?

Vous avez vécu les mêmes constats sur le terrain ?

Que vous ayez envie d’en discuter, de mutualiser, ou de lancer quelque chose dans votre structure, je serai ravie d’échanger avec vous.